

Dans le cadre de la journée nationale de la relation avocat-magistrat, le tribunal judiciaire de Paris accueillait le jeudi 20 mars 2025, deux joutes oratoires : le Prix Taittinger, une joute oratoire opposant avocats et magistrats, et le Prix Bernard-Requin, joute opposant élèves avocats de l’EFB et auditeurs de justice de l’ENM.
Prix Taittinger : quand avocats et magistrats croisent le fer avec bienveillance, mais toujours avec éloquence !
Présidée par l’avocat Francis Szpiner, avec un jury composé des MCO Stéphane Haziza et Anne-Guillaume Serre, du magistrat Gilles Fonrouge et du directeur de greffe Guillaume Aris Brozou, cette édition a été remportée par le magistrat Fabrice Vert.
La première joute portait sur la question « La foi du Palais est-elle un conte de Noël ? ». Frédéric Bibal, secrétaire du Conseil de l’Ordre et ancien secrétaire de la Conférence, par ailleurs co-président du Groupe Catholique du Palais, a défendu l'affirmative en filant la métaphore architecturale et en comparant le tribunal à un immense sapin blanc, symbolisant l’arbre de la justice, et les codes rouges aux lutins du Père Noël. Le magistrat Fabrice Vert, son contradicteur, a quant à lui défini la foi du Palais comme le ciment des principes de loyauté et de confraternité du monde judiciaire, pour mieux la comparer ensuite à une parole d'honneur donnée dans une cour de récréation.
La deuxième confrontation explorait le thème « L'avocat peut-il être juge et partir ? ». Le magistrat David de Pas a examiné cette question sous un angle philosophique, en distinguant deux scénarios : l'avocat incapable de défendre son client par dégoût du crime commis, et l'avocat siégeant comme juge. Dans les deux cas, il en conclut que l'avocat doit « partir » de sa fonction initiale. L’avocate Cosima Ouhioun a contesté cette vision en soulignant que les avocats ne peuvent être « ni juges, ni fugitifs ». Elle a insisté sur leur mission cruciale de « service après-audience » pour expliquer les décisions aux clients, et sur l'importance de distinguer l'avocat de son client, rappelant que défendre n'équivaut évidemment pas à se rendre complice.
Enfin, la troisième joute s'intéressait à la question « Peut-on guérir l'embolie de la justice avec de la poudre de perlimpinpin ? ». L’avocat général Michel Lernout a défendu, non sans une bonne dose d’ironie, l’efficacité de la poudre de perlimpinpin et son « effet retard à l’égard des sucres lents » : transformations superficielles du fonctionnement de la justice, augmentation trompeuse du nombre de greffiers, suppression maquillée du nombre magistrats… Dernière oratrice à prendre la parole, l’avocate Nathalie Ganier-Raymond a répondu par la négative en dressant un portrait critique de l'état actuel de la justice française. Elle a énuméré les problèmes persistants : accumulation de dossiers, délais excessifs, lassitude des juges ou encore multiplication des lois sans amélioration du système. Sa critique a visé particulièrement la construction d’un nouveau palais de justice transparent alors que le système lui-même est en crise, et l'échec des réformes successives comparées à des « poupées russes » qui ont découragé les justiciables. Elle a enfin invité l’ensemble des acteurs du monde judiciaire à « se regarder » et conclut sur ces paroles fortes : « Nous n’avons plus le temps de nous méfier les uns des autres ».
Prix Bernard-Requin : la joute oratoire des acteurs de la justice de demain !
Présidée par Naïma Moutchou, vice-présidente de l’Assemblée nationale, avec un jury composé de Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière, Delphine Vanhove, magistrate, Ludovic Hervelin-Serre, magistrat et Thibault Bailly, avocat et premier secrétaire de la Conférence, cette édition a été remportée par Benjamin Boj, auditeur de justice.
« Faut-il rêver d’une justice sans barreaux ? » était le thème de la première joute. Jules Matigot, élève-avocat, a défendu le sujet par l’affirmative. Selon lui, pour arriver à une justice sans barreau, il faut rêver d’une justice simple. Il a présenté la justice comme une notion qui n'existe véritablement que dans son rêve, imaginant un monde utopique où humanité serait devenue juste, et dans laquelle il n’y aurait plus besoin ni d’avocat ni de prison.
Zohra Bougrine, auxiliaire de justice, a contesté cette vision, arguant que rêver d'une justice sans barreau reviendrait à renoncer à un système qui garantit la protection des droits fondamentaux, mettant l'accent sur l'importance du rôle de l'avocat dans la défense de l’individu face à l'institution judiciaire. Elle a également défendu l’idée que la prison peut être un lieu de changement, bien qu'elle ne soutienne pas le système carcéral tel qu'il est actuellement. En conclusion, elle affirme que rêver d’une justice sans barreau, c'est renoncer à l'État de droit.
La deuxième joute avait pour sujet « Peut-on juger l’arbre à ses fruits ? ». Dans son intervention, Benjamin Boj, auxiliaire de justice, a défendu l'idée qu'il est non seulement possible, mais nécessaire, de juger l'arbre à ses fruits. Le jugement ne doit pas se baser sur des préjugés qui masquent la vérité ou sur la noblesse de l’histoire, mais sur ce que les faits révèlent réellement. Il a clôturé son intervention sur les mots de Victor Hugo : « Il n’y a ni mauvaise herbe, ni mauvais homme, il n’y a que de mauvais cultivateurs ».
Claire Montiel, élève-avocate, a répondu par la négative, prenant pour exemple le mythe d’Antigone et défendant l'idée que le vrai courage n'est pas celui d'Antigone, mais celui de Créon qui incarne une forme de courage moral, celui de maintenir l'ordre et de respecter la loi, même face à des dilemmes personnels et familiaux. Selon elle, réduire l'arbre à ce qu'il produit est réducteur et simplifie à l'extrême une réalité complexe.
Enfin la troisième joute posait la question « Faut-il condamner celui qui acquitte à tort ? ». Pour répondre à cette question, Célestine Gamet, auxiliaire de justice, cite l'exemple de l’affaire Henriette Caillaux pour illustrer le fait qu’acquitter à tort met en danger la confiance dans le système judiciaire. C’est pourquoi la responsabilité de ceux qui rendent des décisions judiciaires erronées doit être prise en compte cela fragilise l'ensemble du processus de justice.
Charlotte Chambon, élève-avocate, sa contradictrice, a souligné que l’acquittement est une décision lourde à porter, aussi bien pour l’avocat que pour le juge. Elle a également soulevé l'idée que si l’on doit condamne celui qui acquitte à tort, il faut aussi condamner celui qui accuse à tort et posé la question de ce qui dérange vraiment, l'erreur ou l’acquittement ?
Cette soirée a une fois de plus souligné l'importance du dialogue entre avocats et magistrats, réunis par leur attachement commun au droit et à la justice, au-delà de leurs rôles distincts dans le système judiciaire.