Retour sur la soirée des cent voix
Six mois après l’organisation de la grande soirée « Cent voix pour les sans voix » du 13 avril 2023, le barreau de Paris organisait le lundi 23 octobre 2023 une deuxième soirée de soutien au peuple iranien. L’occasion de témoigner une fois de plus de l’engagement fort du barreau de Paris envers celles et ceux qui luttent en faveur de la liberté en Iran.
Plus d'un an après la mort de Mahsa Jina Amini, jeune iranienne de 22 ans assassinée par la police des moeurs pour port du voile « non-réglementaire », la répression du gouvernement islamique continue de s’abattre sur celles et ceux qui militent en faveur des libertés publiques en Iran. La bâtonnière de Paris a rappelé
en ouverture de la soirée du 23 octobre 2023 qu’il est essentiel pour le barreau et ses partenaires de « porter la voix des sans voix, ceux que l’on contraint au silence, ceux qui ont dénoncé et qui sont morts ».
Notre consoeur, Me Nasrin Sotoudeh, avocate et militante iranienne des droits humains nous a fait l’honneur de sa présence par une prise de parole risquée nous rappelant l’importance de relayer le mouvement « Femme Vie Liberté » toujours en cours en Iran et remercier notre barreau de son soutien constant aux côtés des avocats et plus largement de la population iranienne.
Par une brève prise de parole Monsieur Mahayr Monshipour, athlète français d’origine iranienne (champion du monde de boxe) a souhaité rappeler l’importance de l’action de la mobilisation de la population française aux côtés de la population iranienne et remercié le barreau pour son action.
Pour cette deuxième édition de la soirée « Cent voix pour les sans voix », le barreau de Paris avait également le plaisir d’accueillir la société de production Lignes de Front et son directeur, M. Bernard de la Villardière, grâce à qui les participants ont pu visionner le documentaire « Iran, voyage clandestin au pays des Mollahs ». Le film donne la parole aux Iraniennes et Iraniens qui, un an après le début du mouvement de contestation « Femme, Vie, Liberté » poursuivent une mobilisation aussi courageuse que risquée en faveur des droits humains dans l’un des Etats les plus autoritaires et répressifs du XXIème siècle.
La projection était suivie d’une table ronde composée de Me Aminata Niakate, présidente de l’association Ensemble contre la peine de mort, Me Ghasem Boedi Bonab, avocat iranien, Me Hirbod Dehghani-Azar, avocat au barreau de Paris, M. Ehsan Manoocheri, ancien rédacteur en chef de Radio France, et de Mme Chowra Makaremi, anthropologue et auteure de l’ouvrage « Femme ! Vie ! Liberté ! ».
En réaction à la projection, et répondant aux questions de M. Bernard de la Villardière, les intervenants ont dressé un état des lieux de la mobilisation des Iraniens après une année de contestation marquée par une montée en puissance de la répression. Mme Aminata Niakate témoigne d’un pouvoir iranien qui n’hésite plus à instrumentaliser la peine de mort comme un outil de terreur politique à l’égard des opposants et des défenseurs des libertés. En 2023, avec plus de 500 exécutions documentées, l’Iran exécute à un rythme inédit et au gré de l’actualité géopolitique. Un chiffre terrifiant qui vient s’ajouter, comme le rappelle Me Hirbod Dehghani-Azar, aux plus de 20 000 disparitions forcées recensées sur l’année écoulée. La menace de la peine capitale permet au pouvoir iranien d’instaurer un climat de terreur afin de réduire au silence les citoyens iraniens, dont plus de 80 % réclament aujourd’hui la chute du régime.
Parmi les premiers concernés par la répression croissante à l’égard des libertés publiques, les avocat(e)s iranien(ne)s constituent une cible privilégiée. Comme en témoigne Me Ghasem Boedi Bonab, dont l’expérience personnelle constitue une fidèle illustration des risques auxquels s’exposent nos confrères, en Iran les droits de la défense sont balayés pour celles et ceux qui se mobilisent en défense des libertés.
Me Ghasem Boedi Bonab a personnellement subi une incarcération et une mise à l’isolement, le retrait de sa licence d’avocat, plus de 20 perquisitions de son cabinet, et le gel de ses avoirs en Iran pour avoir défendu lors de ce qu’il dénonce comme des « procès-spectacle » des manifestants du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Au mois de septembre, c’est l’avocat de Mahsa Jina Amini Me Saleh Nikbakht qui a à son tour été placé en détention sous prétexte de « propagande » à l’encontre du régime. Il a été condamné à 1 an de prison le 17 octobre dernier. Mais face à ce climat de terreur, le peuple iranien s’organise.
Au cours de l’année écoulée, M. Ehsan Manoocheri a relevé une extension du mouvement de contestation des villes vers les campagnes, et une généralisation de celui-ci à toutes les franges de la société. Aujourd’hui en Iran, ce sont les mères, les jeunes, les enfants, les citadins comme les ruraux qui se mobilisent pour défendre les libertés publiques et pour la chute du régime autoritaire des Mollahs. Des formes d’organisation citoyenne spontanée émergent afin de saturer les forces de l’ordre avant les grands rassemblements populaires, notamment dans les zones péri-urbaines pour faciliter l’accès aux centres-villes pour les manifestants.
Les Iraniennes et Iraniens saisissent toutes les opportunités offertes par des réseaux sociaux sous haute surveillance de la part du pouvoir pour continuer de faire vivre leur mouvement, et ressuscitent des moyens de communication « off-line », en éditant des journaux clandestins ou par la pratique des graffitis sauvages. Preuve s’il en est que, comme le souligne Mme Chowra Makaremi, la loi du silence qui régnait jusqu’à récemment dans la société iranienne est en train de vaciller : la terreur d’Etat n’arrive plus à endiguer la parole d’une majorité de citoyens désireux de libertés.
Dans cette libération de la parole, malgré les risques qu’elle occasionne, le soutien des sociétés civiles du monde entier a été déterminant et donne du courage à la mobilisation. C’est fort de cette parole d’espoir que le barreau de Paris remercie l’ensemble des intervenants à la table-ronde et continuera de dénoncer, de témoigner, et de rendre visible le combat du peuple iranien.
Comme un ultime témoignage de la nécessité de protester à plus de 4000 km de Téhéran contre la répression, la soirée s’est conclue par la projection du documentaire « Des cent voix pour l’Iran », réalisé par notre consoeur Me Anne-Sophie Laguens sur la base des paroles de soutien de celles et ceux qui s’étaient mobilisés lors de la première édition des « Cent voix pour les sans voix ».
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