Projet de loi relatif à la Sécurité publique: le Barreau de Paris et la Conférence des Bâtonniers se mobilisent contre les dérapages sécuritaires
A la veille de l’examen du projet de loi relatif à la Sécurité publique par l’Assemblée nationale, Dominique Attias, vice-bâtonnière du barreau de Paris, Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris et Yves Mahiu, président de la conférence des bâtonniers, pointent les dangers et dérapages sécuritaires que ce texte pourrait induire s’il était adopté en l’état.
L'Ordre des Avocats de Paris etla Conférence des Bâtonniers souhaitent exprimer leurs craintes concernant une des mesures phares de ce projet de loi - à savoir les règles d’usage des armes par les forces de police alignées sur certaines dispositions très spécifiques concernant les gendarmes et codifiées au code de la sécurité intérieure. Les conditions d’usage des armes sont ainsi élargies à des cas qui excèdent la légitime défense. Or, en l’état actuel des choses les poursuites contre des policiers ayant fait usage de leurs armes restent exceptionnelles et sont appréciées in concreto. La réponse au mal être policier ne peut être le seul motif d’examen de ce projet de loi et il importe que les conditions de la légitimes défense ne soient pas modifiées et que les critères de stricte nécessité et de stricte proportionnalité de l‘emploi des armes soit rappelés.
De même, la possible anonymisation quasi généralisée du nom des enquêteurs pour tout crime ou délit punissable de trois ans d’emprisonnement – à la discrétion d’un responsable hiérarchique et selon un processus à définir par décret - remet en question le respect du contradictoire et l’exercice des droits de la défense. Le Barreau de Paris et la Conférence des Bâtonniers appellent donc à restreindre beaucoup plus strictement le champ des infractions pouvant donner lieu à l’anonymisation. La généralisation de procédures d’exception au droit commun ne peut qu’affaiblir la réponse de l’état de droit. Il convient également de veiller à ce que les avocats ne puissent être pénalement poursuivis s’ils venaient à révéler au cours de l’audience et à l’occasion de l’exercice des droits de la défense, des éléments pouvant conduire à l’indentification des enquêteurs « anonymisés ».
Dans le souci d'accélérer le cours de la justice en matière anti-terroriste, le projet de loi relatif à la Sécurité publique propose encore une modification de la composition de la Cour d’assises spécialement composée, afin de réduire son nombre de juges assesseurs. Si l'intention première paraît louable en cette période d'augmentation du nombre d'affaires terroristes, cette modification risque en revanche de mettre à mal les principes essentiels qui régissent le déroulement des procès en matière criminelle. Le Barreau de Paris et la Conférence des Bâtonniers rappellent que le principe de collégialité dans ce genre d'affaires ne peut être sacrifié face à la pénurie de magistrats que connaît notre pays, et qu’un nombre important de juges participant à des délibérations garantit une décision mieux éclairée et plus juste. Une formation élargie assoit également l’autorité de la décision qui sera rendue, ce que réclament aussi les familles des victimes et les parties civiles.
Par ailleurs, ce projet de loi cherche légitimement à sanctionner les "parloirs sauvages", à savoir la pratique consistant pour une personne se trouvant à l’extérieur d’un établissement pénitentiaire de communiquer (spécialement par téléphone portable) avec une personne détenue. Il convient néanmoins de rappeler la situation tout à fait particulière des avocats dans ce cadre. En effet, l’avocat décroche bien souvent son téléphone pour répondre à un appel sans savoir avec qui il va échanger, les détenus les contactant parfois directement en ne révélant pas toujours leur condition. Ces situations, auxquelles les avocats sont particulièrement sensibilisés et qu’ils appréhendent avec grande prudence, les exposeraient cependant à des poursuites pénales sur le fondement de cet article 434-35 du Code pénal si le texte était voté dans l'état. C'est donc avec la plus grande fermeté que le Barreau de Paris et la Conférence des Bâtonnier appellent le législateur à modifier ce texte, de sorte qu'un simple échange non autorisé par la voie des communications électroniques entre un détenu et un avocat ne pourrait être poursuivi sauf s’il devait être préalablement rapporté des indices de la participation de l’avocat à une infraction.