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L'accès en ligne aux décisions de justice est fragilisé

Mis à jour le 27 avril 2021

Article paru dans Le Figaro le 2 octobre 2018

 

«Nous sommes favorables à l'open data et au numérique dans l'entier respectdu droit», déclare Marie-Aimée Peyron, batônnière de Paris. 

Un site Internet aurait piraté des milliers de décisions juridiques en usurpant des identités. Le barreau de Paris porte plainte.

Elle voulait gagner la course de vitesse de l'open data juridique, elle a jeté le discrédit sur l'ensemble des éditeurs juridiques et des legal-tech. Depuis la loi Lemaire de 2016, le libre accès aux décisions de justice est prévu. Doctrine.fr la plateforme numérique à la trajectoire supersonique s'était saisie de cette opportunité mais aurait, depuis 2017, aspiré auprès des greffes des tribunaux français des milliers de décisions en pratiquant, le «typosquatting». 

Autrement dit, un piratage informatique utilisant des adresses mail inventées mais ressemblant à celles d'acteurs patentés du droit, en l'occurrence des avocats connus, des universités, l'École du barreau de Paris, mais aussi ses concurrents comme Predictice, qui se réserve le droit d'une action en justice. D'autant que par le biais de l'association française pour le nommage Internet en coopération (AFNIC), Predictice a obtenu la certitude que c'est au nom de l'un des fondateurs qu'aurait été commis le délit. Le barreau de Paris porte plainte pour «usurpation du titre d'avocat, usurpation d'identité, escroquerie, vol et maintien frauduleux dans un système informatique et recel». 

Code de bonne conduite

«L'accès aux données judiciaires est un sujet trop sensible pour le laisser entre des mains privées» Christiane Féral-Schuhl, président du CNB

Le Conseil national des barreaux (CNB) s'apprête à épauler le barreau de Paris dans son action. «Nous sommes favorables à l'open data et au numérique dans l'entier respect du droit», affirme Marie-Aimée Peyron, la bâtonnière de Paris. De son côté la présidente du CNB Christiane Féral-Schuhl rappelle que «l'accès aux données judiciaires est un sujet trop sensible pour le laisser entre des mains privées». Elle propose qu'«un consortium des acteurs du droit et du chiffre établissent un premier tri avant de le confier aux opérateurs privés pour anonymisation des données».

L'un des dirigeants fondateurs de Doctrine.frNicolas Bustamante se défend en affirmant que «la frustration engendrée par les refus successifs des juridictions à transmettre les décisions de justice a conduit à ce type de comportement. Mais ce ne sont que quelques dizaines de mails envoyés pendant seulement 10 jours. Nous n'avons pas siphonné des milliers de décisions», jure-t-il, ajoutant: «Nous avons maintenant un code de bonne conduite et un service juridique.»

Dans le monde de la data, le nerf de la guerre est la collecte de données et sa volumétrie. Pour devenir leader sur ce marché juteux Doctrine.fr affirme avoir constitué une base de 7 millions de décisions de justice. Une performance qu'aucun de ses concurrents n'a pu réaliser et dont beaucoup doutent. Comme ses concurrents elle a eu accès à un stock et un flux de 2,5 millions de décisions issues des fonds Légifrance ainsi qu'Ariane et Jurica, les fonds de concours du Conseil d'État et de la Cour de cassation. 

«Par principe de précaution et par solidarité avec les professions du droit qui ont été impactées par les pratiques de Doctrine, nous avons d'abord suspendu puis résilié le partenariat avec Doctrine»

Les greffiers des tribunaux de commerce

Cette dernière a signé une convention de recherche avec Doctrine.fr et se fait discrète. La persuasion des dirigeants lui a aussi permis de monter un partenariat avec Infogreffe pour la numérisation et l'anonymisation de plus de 2,5 millions de décisions commerciales. «Par principe de précaution et par solidarité avec les professions du droit qui ont été impactées par les pratiques de Doctrine.fr, - c'est-à-dire les avocats et les greffiers des autres juridictions - nous avons d'abord suspendu puis résilié le partenariat avec Doctrine.fr. Nous réfléchissons désormais à une licence dont pourraient bénéficier tous les éditeurs», dit-on du côté des greffiers des tribunaux de commerce. 

Reste près de deux millions de décisions revendiquées mais il est difficile d'en attester la véracité et d'en connaître les sources d'approvisionnement. Doctrine.fr met en avant la Cour des comptes, qui communiquerait librement ses décisions. «L'affaire a surtout refermé la porte des juridictions à tout le secteur», regrette Fabien Girard-Barroz, de Lexbase, qui a patiemment construit son réseau de confiance avec les juridictions depuis vingt ans et accompagne son outil d'analyses de doctrine par les plus grands spécialistes du droit. Depuis 2016, les éditeurs attendent la mise en place d'un décret d'application sur l'open data fixant les modalités de la loi Lemaire. Cela prendra du temps car la Chancellerie a durci les conditions d'exercice de l'open data dans le prochain texte de loi justice: «les tiers peuvent se faire délivrer copie des décisions, sous réserve des demandes abusives, en particulier par leur nombre ou par leur caractère répétitif ou systématique», affirme le texte. De son côté le Sénat entend durcir les règles d'anonymisation.