Hommage à Jules Senard
Discours prononcé par Monsieur le Bâtonnier le 30 septembre 2016
"Monsieur le Bâtonnier,
Mesdames et Messieurs les Hauts Magistrats,
Mesdames et Messieurs les Hautes Personnalités,
Mes Chères Consœurs, Mes Chers Confrères,
« Tenter, braver, persister, s’être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin, étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait, tantôt affronter la puissance injuste, tantôt insulter la victoire ivre, tenir bon, tenir tête ; voici l’exemple dont les peuples ont besoin, et la lumière qui les électrise. »
Cette vision du destin que nous livre Victor HUGO correspond en tous points aux destinées qui présidèrent aux vies multiples de Jules SENARD.
Le temps n’efface pas la trace des grands hommes.
C’est donc avec volupté, délectation, fierté,
Que j’entends évoquer Jules SENARD, dans la ville dans laquelle il est né, en 1800,
Devant le Barreau qu’il a représenté à différentes reprises,
Cela même si le Barreau de Paris a constitué sa deuxième famille.
Evoquer Jules SENARD,
C’est faire remonter à la surface l’Avocat, le Bâtonnier, le Procureur Général, le Ministre, le Député, le Président d’une Assemblée Constituante.
Permettez-moi de remettre à un jour prochain la relation de l’homme politique que fut Jules SENARD, tant l’avocat me passionne.
Monsieur le Bâtonnier, (Jules SENARD),
Rien ne vous prédisposait à rejoindre cette cohorte d’hommes de robe à laquelle pourtant vous avez dédié votre vie…
Votre père est architecte, et, vous ne connaitrez votre mère que fort peu de temps.
Bachelier à l’âge de 14 ans,
Vous rejoignez Paris, direction la Faculté de Droit.
Vous affrontez pour la première fois la Loi qui peut parfois être injuste et faire fi de jeunes talents : trop jeune, vous dit-on…
La tête basse, vous vous en retournez à Rouen.
La vie étant souvent généreuse,
Cette période qui vous éloigne momentanément de vos études,
Est une occasion inespérée de vous familiariser avec Ovide, Lucrèce, Voltaire, Racine, Molière, Corneille…
De retour à Paris,
Vous intégrez enfin la Faculté de Droit.
Assoiffé de connaissances,
Vous fréquentez la Sorbonne, l’Ecole de Médecine, les Arts et Métiers…
Quelques années plus tard, devenu Bâtonnier du Barreau de Paris,
Vous conseillerez à vos jeunes Confrères de pratiquer l’Ecole buissonnière, conscient que le Droit se doit de se nourrir d’une appréhension plus large et généreuse de la vie.
Vous prêtez serment le 24 novembre 1819 devant la Cour d’Appel de Paris.
Le 11 février 1820,
Le décès de votre père dont vous ne vous remettrez jamais totalement, en dépit d’un mariage d’amour exemplaire,
Vous rappelle à Rouen…
Vos débuts ne sont guère prometteurs, dit-on…
Et pourtant,
Vous voilà élu Bâtonnier du « Grand Barreau de Rouen » en 1835.
Vous remplirez ce mandat quatre fois.
La roue tourne.
Vous voilà à la tête d’une clientèle fidèle, avocat connu et reconnu.
L’avocat, le Bâtonnier, s’implique dans la vie politique, faite comme chacun le sait, de victoires, d’échecs, de reconnaissance, de trahison…
Le 22 mai 1849,
Vous rejoignez le Barreau de Paris,
Elu Bâtonnier en 1874.
Au-delà des dates,
Permettez-moi d’invoquer l’Homme.
Un homme visionnaire.
Lors de votre discours prononcé à l’ouverture de la Conférence du Barreau, en 1874,
Vous exhortez les jeunes confrères dans des termes qui me vont droit au cœur :
Vous n’avez de cesse de leur conseiller de se rendre dans des laboratoires, des ateliers…
Vous leur vantez l’accueil qui leur sera réservé par les chefs des grandes industries.
« Quand je vous ai dit que je demande à l’avocat de ne rester étranger à rien de ce qui se meut auprès de lui, je n’ai pas entendu parler seulement du côté matériel des choses. Je veux qu’il acquière les connaissances pratiques, nécessitées par les progrès de l’industrie…L’avocat, au temps où nous vivons, ne se tient vraiment à la hauteur de sa mission que lorsqu’il suit d’un regard attentif et constant tous les mouvements de la société… ».
Vous exprimant de la sorte,
Vous incarnez « l’avocat moderne » dans sa plénitude.
Vous alliez réflexion, action, respect des traditions.
Homme de combat,
Rien d’humain ne vous fut étranger.
Nous ne saurions nous étonner que vous ayez pris la défense de Gustave FLAUBERT et de son éditeur lors de la publication de « Madame Bovary ».
La Loi et la morale ne sauraient pourfendre la liberté d’expression quand cette dernière reflète des valeurs esthétiques.
Vous auriez sans nul doute faite vôtre cette pensée d’André GIDE :
« Que l’importance soit dans le regard et non dans la chose regardée » (Les nourritures terrestres).
Monsieur le Bâtonnier,
Oserais-je vous dire que vous m’êtes familier ?
Je me réjouis que votre buste soit aujourd’hui contemplé à Rouen et à Paris.
Vous nous précéderez sans cesse et nous aurons le bonheur de suivre le chemin lumineux que vous avez tracé."
Frédéric SICARD
Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris