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Hommage de Basile Ader à son père

Mis à jour le 27 avril 2021

Discours prononcé lors des funérailles du Bâtonnier Henri Ader à St Ferdinand des Ternes, le 6 mars 2017

Que vous dire ? Il y a tant à dire…

Je suis son fils ainé, « l’aïnat », comme il aimait à le rappeler. J’ai été son associé, et il a été mon bâtonnier. Je peux donc dire, au coté gauche de l’assemblée, que l’homme qu’a connu le coté droit est le même que celui que vous connaissez. Et, réciproquement…

Un homme droit, bon, généreux et charismatique. Un chef de famille. Un leader naturel (vous savez que leader peut se lire aussi Le Ader !). Un homme si cultivé. LA figure du père pour beaucoup. Un confident, un conciliateur, un sage. Au-dessus de la mêlée, celui qui oriente le jeu, comme le demi d’ouverture qu’il fut dans sa jeunesse, mais sans craindre de monter sur le ring quand il le fallait, comme le boxeur amateur qu’il fut aussi, et sans jamais rechigner à travailler, travailler, travailler, comme le champion d’aviron qu’il a été aussi dans les équipes de Lancout sur la Marne. Oui, c’était un avocat très travailleur, et très redouté.

Mes frères et sœurs, dont je suis l’interprète, vous le diront, il nous a élevés, comme un cultivateur fait grandir ses plantes. Comme un tuteur, qui ne contraint pas la fleur, mais l’élève vers le haut. Il y a une maxime que nous avons entendu toute notre enfance : « On juge l’arbre, à ses fruits » Il a dit, il y a peu, à mon frère Pierre, qui en doutait : « mon Pedro, je suis fier de toi. Tes fruits sont magnifiques ! » Notre enfance fut, à la vérité, un règne de grande liberté. C’est d’ailleurs assez rare, une aussi forte personnalité qui n’écrase pas tout autour de lui. Lui, c’était moins « faites ce que je dis », que « faites ce que je fais ». Une éducation par l’exemple et par la confiance.

Né pile entre les deux grandes guerres, celles-ci ont profondément marqué ce qu’il est devenu. Lorsqu’il fêta ses 80 ans, il nous emmena tous, trois jours à…Verdun. Et, il nous raconta, in situ, l’héroïsme du colonel Driant au bois des Caures, et celui qu’il fallut à une poignée de braves pour défendre le fort Douaumont. Il était farouchement républicain. Il estimait qu’avec cette grande bataille, qui fut un tel sacrifice humain, les français avaient montré, pour toujours, leur attachement à notre république. La seconde guerre était non moins centrale, dans ce qu’il était. Elle en avait fait un européen radical.

Jeune collégien,-peut-être même encore écolier- j’ai dit, un soir, à la table de famille, un mot odieux que je venais d’apprendre sans le comprendre. Lui, si bienveillant, si doux d’habitude, est devenu terrible.

Ce mot, c’est « youpin ». « Basile ! Je ne veux plus jamais t’entendre dire ce mot. Tu entends, jamais ! » Et deux grosses larmes ont coulé de ses yeux. J’ai su, plus tard, l’origine de ce chagrin.

En octobre 42, à la rentrée des classes, à Louis Le Grand, il découvre que son ami Riskine fait défaut. Il avait été raflé durant l’été. C’était le premier de classe. Le professeur principal, leur annonce la nouvelle, mais dit qu’on gardera sa place, au premier rang, et interdit à quiconque de s’y asseoir toute l’année ! Quand il a été élu bâtonnier, mon père a consacré le cœur de son discours de prise de bâton, à évoquer la mémoire de Riskine, celui qui aurait mérité, plus que tout autre, de connaitre les honneurs et la réussite…

J’ai reçu ce matin une lettre de Robert Badinter me disant sa « grande peine ». Il m’écrit «Votre père était une figure imminente de notre génération et a beaucoup servi la justice et le droit. Peu d’hommes ont témoigné dans la profession d’avocat de vertus comparables. Il est aujourd’hui encore un exemple pour les jeunes générations » 

Les dernières années de la vie de notre père ont été difficiles. Un calvaire, en vérité. Il a perdu l’usage de ses jambes, puis peu à peu, de sa tête. Il ne s’est jamais plaint. Il est resté digne et souriant, avec ce beau regard tendre, qui n’était plus, à la fin, que le seul vecteur de communication entre nous. J’avais envie de lui chanter : Papaoutai, où t’es Papa ?

Maman, elle, a toujours su où il était. 57 années à s’aimer tous les jours, à tout partager, à parler, parler, parler. Que de chose, il t’a raconté ! Des choses toujours intelligentes, joyeuses, optimistes, idéalistes même.

Alors que les médecins ne lui donnaient plus que quelques semaines, il est resté trois ans, là, immobile dans son siège, près de toi, maman.

Mais je sais pourquoi maintenant.  Tu t’es dévoilé avec le choix de la musique de sortie : Tu priais tous les soirs, en cachette, comme nous allons le chanter tout à l’heure sur les notes d’Edith Piaf : « Mon dieu, mon dieu, laissez le moi encore un peu mon amoureux. Un peu, un jour, deux jours, huit jours. Laissez le moi encore. Laissez-le-moi remplir encore un peu ma vie…! » Ah ça, il l’a rempli ta vie, ton amoureux ! Il a rempli les nôtres aussi. Il les a même comblées !

Bon, il est parti finalement. Là où il est à présent, devaient l’attendre avec impatience : ses parents, son beau-père, Jean Colombani, avec qui il avait tissé une si belle relation, sa sœur Pierrette, ses deux frères qui l’ont tout juste précédé, Hélène sa chère nourrice.

Et puis ses vieux copains : Jean Gilbert, François Béraut, François Bouteloup, Philippe et Yves Dumont, Michel Meynial, Jacques Nivard, Charles Burrus, Marc Brossollet, Christian Pechnard, Charles Jolibois, (Ah ! Charles Jolibois, l’ami de toujours !) Et tant d’autres. Et aussi, Bernard du Granrut, Mario Stasi,  Guy Danet et Philippe Lafarge, cette génération dorée de bâtonniers, qui s’est tiré la bourre, dont il ne nous reste plus, à la barre, que Jean-René Farthouat.

Je voudrais, pour terminer, évoquer son immense liberté d’opinion. C’était un homme de droite, mais avec, souvent, des idées de gauche.

Là où certains bâtonniers font un panégyrique des actions « magnifiques » qu’ils ont menées, lui avait consacré son premier discours de rentrée du barreau à dénoncer, avec beaucoup de virulence, le manque de moyens de la justice ; et le second, à désigner la garde à vue comme « la honte de notre démocratie ». Nous étions en 1990 et 1991 !

Papa était gascon, de tout son être. Il en était fier. Et, je suis fier, à mon tour, de vous dire qu’il y a une chose qu’il a emporté avec lui, au moment d’entrer chez Dieu. Cette chose, c’est… c’est son panache !  

Basile Ader